France Soir
Actualité - Jeudi 15 avril 2004
TEMOIGNAGE Du FLN à
lOAS, le parcours atypique de Sid Ali devenu Rémy Madoui. Un Algérien déchiré,
à limage de son pays, et définitivement meurtri.
Perdu dans la guerre, et pour toujours en Algérie
Il parle, avec son accent américain, de harassment, en
pensant harcèlement. Evoque les librairies américaines , avant de se reprendre,
un petit sourire aux lèvres: Pardon, je voulais dire les bibliothèques
publiques. Né à Téniet al Had, au sud de lOuarsenis, dernière ville
avant les Hauts Plateaux algériens, Rémy Madoui (64 ans) est atypique à plus
dun titre.
Déjà, à cause de cet accent américain
Car Madoui vit
aux Etats-Unis depuis la fin de la guerre dAlgérie. Atypique également du fait,
justement, de son parcours au sein de ce conflit sanglant.
A lâge de 15 ans, Rémy Madoui rejoint le maquis FLN de la Wilaya 4. Il est
fils dune famille relativement aisée. Lun des rares musulmans à avoir été
admis au lycée. En septembre 1955, lorsque Madoui entend le mot de passe al
thaoura (révolution en arabe), il est prêt.
Dans le djebel, ladolescent devient Sid Ali. Il y cotoiera le
meilleur comme le pire. Des chefs exemplaires, ses nouveaux pères. Et puis il
y aura les autres. Ceux qui cèdent à lintox. La propagande française
parvient à pourrir la vie du maquis. Des combattants sont persuadés que des
frères trahissent. Y compris Sid Ali. Les purges se multiplient. A
partir du 19 mars 1960, Madoui est torturé. Il na pas le choix. La fuite ou la
fosse anonyme, quelque part dans la montagne. Sid Ali se livre aux
Français. Là, une rencontre va boulverser sa vie, Le colonel Jacques Drion, chef du
secteur de Médéa, demande à le voir. Lentretien scellera lavenir de Madoui.
Sid Ali devient Rémy. Il est en âge deffectuer
son service militaire, sous luniforme français. Après sa formation, lancien
moujahid rejoint larmée
française. 19
mars 1960-19 mars 1962
Madoui, enfoui dans son uniforme et riche de ses galons,
nen croit pas ses oreilles. De Gaulle sapprête à remettre les clefs de
lAlgérie au FLN. Celui des extrémistes qui lont torturé et ont
bafoué les idéaux de la Révolution.
Désespéré, Sid Ali-Rémy rejoint lOAS. Il finira la guerre
dAlgérie en prison. Un parcours atypique, un trajet personnel caractéristique des
passions de sa terre natale, Rémy Madoui est un concentré vivant de toutes les
souffrances algériennes.
L.B.
Je ne peux pas mempêcher davoir mal
Est-il courant, dans lAlgérie coloniale, de monter au maquis à 15 ans ?
Rémy
Madoui. Dans
lAlgérie coloniale, linjustice, la pauvreté, la misère sont flagrantes.
Dans les villes, le problème est moins apparent car les deux communautés vivent plus ou
moins séparées. Dans les campagnes, quelques Européens possèdent absolument tout et
les autres crèvent. Enfant, jassiste à des famines. Notamment près des montagnes,
où les gens sont encore plus déshérités. Et
cest quotidian. Quand la révolution commence, des jeunes partent naturellement au
maquis. Le choix nexiste pas. La réside le seul moyen de tenter déviter un
carnage. La mort existe bien avant la guerre.
Comment avez-vous été recruté pour le maquis?
R.M. Nous sommes
nombreux à dabord rejoindre des organisations comme les scouts musulmans, crées
par le mouvement de Messali Hadj. Là, nous avons notre formation politique. Lorsque je
suis contacté, je dis : Oui. Je suis très content de monter au maquis. Au
lycée, moi qui connais très peu dislam, avec mes copains de lycée musulmans, nous
allons à la mosquée faire la prière. Une autre façon de sopposer. A la maison,
je passe des nuits entières à dormir par terre. Jallais me battre, donc je
mentraîne. Des trucs denfants ? Peut-être, mais ils montrent létat
desprit de cette jeunesse déja prête, formée et qui na pas besoin
dêtre convaincue.
Dans votre livre, vous donnez limpression
davoir consacré plus de temps à jouer à cache-cache avec larmée française
quà vraimment la combattre
R.M. Il est impossible
davoir des zones de front. Dans un accrochage, et jen ai connu plusieurs, le
combat dégal à égal ne dure pas dix minutes. Au-delà dune demi-heure
daffrontement, nous avons des pertes énormes. Il faut monter des embuscades, soit
des coups de nuit et avec un excellent mouvement de repli pour, ensuite, échapper à
laviation, aux hélicoptères
Les éléments apportés par le service de
renseignement, auquel jappartiens alors, sont essentials. La guerre dAlgérie,
cest un harcèlement constant. Il suffit dun groupe de gens convaincus,
armés. Avec le soutien du peuple, la guérilla peut durer éternellement
Et, au
maquis, vous aviez des débats politique ?
R.M. Il faut apporter
des éléments de base à nos compagnons. Lignorance du peuple est incroyable. Ne
serait-ce que décrire le pays lui-même, le monde et la réalité du colonialisme
Dans ma mechta de lOuarsenis, nous tentons dexpliquer léléctricité
aux combattants, de leur décrire une ampoule. Faire connaître les choses à un
analphabète, qui nest jamais descendu en ville.
Quel
était votre projet après lindépendence, une Algérie démocratique ?
R.M. Avec 94%
danalphabètes, nous ne pouvions pas gérer ce pays. Cétait impossible. Il
fallait le faire avec la France. Parmi nous, personne nenvisage une rupture
complète. Nous rejetons à 100% le concept de zaïm, de
dictateur, cette nouvelle forme de colonisation. En 1956, avec la plate-forme de la
Soummam, nous avons même une vraie Constitution. Celle-ci est appliquée jusquen
1959. Malheureusement, beaucoup de ses auteurs sont tués.
Vous évoquez une espèce de Commune de Paris, de république utopique à
lintérieur de la révolution, la Wilaya 4
R.M. Très tard, je
maperçois que la Wilaya 4 est unique. Et ce parce que nos responsables sont restés sur
place. Dans les Aurès, beaucoup sont parties pour diriger de lextérieur du pays.
Devenant des dictateurs, ou des suppots de dictateurs.
Concrétement, ça veut dire quoi : que, dans la
Wilaya 4, il y avait des débats au sein des combattants ?
R.M. Personne ne peut
prendre une décision seul. Si le sujet sort dune certaine routine, la décision est
prise par tout le groupe. On évite ainsi la création de petit fiefs personnels. Et nous
limitons les risques derreur. Quatre têtes qui pensent, cest mieux
quune. Nous sommes tous sans expérience. Nous nous retrouvons à gérer
financièrement, militairement, politiquement
des territoires immenses.
Puis il y a eu ce virage, ce fameux
procès ou lon vous a accusé de trahison
R.M. Aprés la bataille
dAlger, pas mal des nôtres sont retournés par les services français.
Membre du Deuxiéme Bureau, Michel Bussac, qui est maintenant mon ami, ma décrit
les recettes. Quand il faut compromettre un combattant, une lettre à son nom est
déposée dans la montagne, bien apparente sur une pierre. Son contenu : Merci pour
tes renseignements
. En face, des idiots tombent dans le panneau. En Kabylie,
la manipulation est plus poussée. Des hommes retournés sont renvoyés au
maquis pour intoxiquer ses membres. Quand ces informations tombent
dans loreille dhommes peu ouverts aux gens éduqués, cest la
catastrophe. Ainsi, les réactions dAmirouche (puissant chef du FLN en Kabylie,
ndlr). Il est trés religieux, se méfie des citadins. Amirouche en a massacré, des
jeunes.
Vous êtes passé chez les Français, parce que
ceux-ci ont réussi à vous griller ? Mais, à cause deux, votre propre
camp vous a torturé
R.M. Beaucoup
dentre nous ont été torturés par leur propre camp, à un point quils ne
pouvaient plus résister. Et il faut donner des noms. Mais pas simplement pour sauver sa
peau. Après avoir parlé, on est massacré. Certains donnent des noms, tout ce quil
leur vient à lesprit, juste pour se faire tuer, parce quils ne peuvent plus
supporter. La machine a constamment quelque chose à broyer. Comme les hommes sont de la
même région, ils donnent les mêmes noms. Une confirmation automatique des
soupçons. Les tortionnaires ne réfléchissent pas. Si autant dhommes valables ont
comploté contre la révolution, ceux-ci se seraient emparés de la région!
Etes-vous obligé de passer dans lautre camp ?
R.M. Je nai aucun choix. Cest ça ou
mourir. Où aller ? Je suis préparé à lidée
dêtre torturé par larmée française, ou alors jugé et emprisonné. Mais je
tombe sur Jacques Drion, un officier admirable, qui applique ses principes en Algérie. A
ce moment-là, mon ralliement se transforme en adhésion à larmée française.
Laffaire
Si Salah, cétait une tentative dobtenir, avec la France, un accord politique
cohérent pour lAlgérie?
R.M. Laffaire
nest pas un ralliement de chef de wilaya du FLN à la France. Certains soulignent la
victoire de la France. La wilaya la plus importante voulait se rallier,
déposer les armes. Avant son discours sur lautodétermination, De Gaulle a
proposé trois options. Qui plus est par les urnes. Cest exactement notre combat.
Avant que je ne sois torturé, nous avons eu des réunions à ce sujet car le FLN ne
faisait rien. La Wilaya 4 prend une décision : si le FLN ne bouge pas, nous allons
agir! Nous en avons assez de voir la population souffrir. Cette peine est devenue
inutile puisque nous arrivons exactement à notre but. Deux dentre nous ont été
dépêchés auprès du Gouvernement provisoire de la République algérienne et Houari
Boumedienne et son état major (tous basés à lextérieur de lAlgérie). Si
Salah est allé leur dire : Il faut absolument négocier. Il fallait
contrebalancer cette influence énorme des extrémistes de lextérieur, Boumedienne,
sa clique et ceux du GPRA. Là est le but de laffaire Si Salah. Rien à voir avec
une révolte visant à créer un séparatisme au sein du FLN ou un ralliement.
Où est le rapport
entre avoir 15 ans et entrer au FLN et sept ans plus tard, à 22 ans, frapper à la porte
de lOAS ?
R.M. Je déserte en 1962
pour deux raisons. A lépoque lOAS nest pas encore mortifère comme par
la suite. Enfin, lAlgérie va tomber entre les mains des membres du FLN que
javais combattu. Je sais ce quils vont faire du pays.
A cause de votre expérience au sein du FLN ?
R.M. Les gens valables
nexistent plus. Ceux qui restent sont ces dirigeants qui, dès le début, veulent le
pouvoir. Ensuite, les officiers de lOAS que je connais je ne parle pas des
civils qui ont commis les massacres dAlgériens -, sont tous des Français de France
révoltés par le colonialisme. Nous nous entendons très bien. Ces hommes retiennent
lidée dune Algérie indépendante dans un contexte français. Ces soldats
nont aucune affinité avec ce que jappelle les exploiteurs. Le but de
lOAS est de forcer De Gaulle à maintenir cette autodétermination. Et la manière
dy arriver, cest de faire basculer larmée. Telle est lOAS que
jai rejointe. Après, lorsque je maperçois à quoi jai affaire, je suis
complétement déboussolé. Cest la négation de tout ce que jai fait depuis
mes 15 ans, des engagements de ma famille, nationaliste depuis des générations. Je suis
écoeuré davoir appartenu à cette organisation qui tue
une Algérienne parce que cest une fatma. Celle-ci aurait pu être ma
mère, ma soeur. Et puis, il y a le maquis de lOuarsenis. Celui de
lOAS. Un fiasco total. Je pense que tout a été préparé. Pas du tout ! Nous
navons pas acquis le peuple algérien à notre cause! Le maquis na pas duré
trois jours.
Vous nêtes pas retourné en Algérie depuis
1962 ?
R.M. Non.
De quelle nationalité êtes-vous ?
R.M. Je suis français
et américain.
Comment jugez-vous lAlgérie
daujourdhui ?
R.M. Cest un gaspillage énorme. Malgré son degré
danalphabétisme, lAlgérie avait des resources incroyables. Tout a été
gaspillé. Elle aurait pu être aussi développée, quarante ans après, que
nimporte quel pays occidental. LAlgérie a faillie. Elle aurait été
lexemple du tiers-monde. On sait où en est le
peuple. Un désastre. Pour tous les gens qui, comme moi, ont sacrifié leur jeunesse,
essayé de faire ce qui était possible, voir ce résultat
Ces officiers, ces
sergents, manipulant le gouvernement, sans avoir tiré un coup de fusil contre
lennemi ! Je ne peux pas mempêcher davoir mal. Le pays a besoin
dune autre révolution. Mais non violente. Jespère que, de mon vivant,
lAlgérie sera un jour indépendante. Le peuple le mérite.
Propos
receuillis par Lakhdar Belaid.
Mon livre est en vente dans toutes les librairies de qualité. Vous pouvez aussi le commander chez Amazon France, la
livraison peut être gratuite.
Renseignez-vous auprès de Amazon France.
|
Soyez les bienvenus !
|